Justice

A la recherche des deux milliards de la Société générale

Julien Bayou, porte-parole des Verts, a initié un financement participatif en vue de porter plainte pour concussion contre les pouvoirs publics, dans l'affaire Kerviel.
par Renaud Lecadre
publié le 4 juin 2019 à 16h47

Affaire Kerviel, suite sans fin. Pour mémoire, le trader déchu avait été condamné en 2010 à trois ans de prison ferme et surtout à verser cinq milliards d'euros de dommages et intérêts à son employeur, la Société générale, au motif de sa seule et unique responsabilité sur ses spéculations hasardeuses. Revirement en appel, via une cassation, en 2016, la réparation étant réduite à un petit million d'euros (soit 0,02% du préjudice initial), en raison des contrôles internes «erratiques» voire «lacunaires» de la banque, qui aurait volontairement «privilégié la prise de risque au nom de la rentabilité». Sauf qu'entretemps, la banque aura déduit la perte initialement imputée au seul Kerviel de ses confortables bénéfices imposables. Soit une économie d'impôts de 2,2 milliards d'euros. Depuis, les pouvoirs publics font mine de réclamer restitution (de Michel Sapin en 2016 à Gérald Darmanin aujourd'hui) mais sans jamais passer vraiment à l'acte.

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Julien Bayou, porte-parole des Verts, improvisé compagnon de route de Jérôme Kerviel, s'est emparé du sujet. Après s'être fait bananer devant le tribunal administratif puis la Cour de justice de la République, il vient de frapper à la porte de la justice pénale via une plainte pour concussion. Le terme pourrait prêter à sourire, mais le code pénal le définit avec précision, visant tout dépositaire de l'autorité publique qui «accorde pour quelque motif que ce soit une exonération d'impôts ou de taxes en violation des textes légaux ou réglementaires». Mine de rien, cela vaut cinq ans de prison et vise tous les décideurs publics ayant eu à se pencher fiscalement sur l'affaire Kerviel depuis une dizaine d'années.

Après classement sans suite par le parquet de Paris, sa plainte avec constitution de partie civile a été déposée derechef en mars devant le doyen des juges d'instruction. Elle vise non seulement «la précipitation et la légèreté» ayant accordé initalement la ristourne fiscale (cela concerne alors Eric Woerth à Bercy et François Fillon à Matignon), mais aussi une «carence dans la diligence pour récupérer les sommes» (soit leurs multiples successeurs depuis une douzaine d'années). Interrogé par Libération, Julien Bayou dit son impatience virant à l'exaspération : «Depuis toutes ces années, l'administration des impôts n'a initié aucun contentieux direct, on en est toujours au stade des palabres fiscales.»

«Surprenant»

Ultime obstacle avant que la justice pénale ne se saisisse enfin du sujet : le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke vient de signifier à Julien Bayou une consignation de 10 000 euros avant d'instruire sa plainte. Une somme versée en garantie du paiement d’une éventuelle amende prononcée dans le cas où la plainte s’avérerait abusive, mais jugée un peu trop onéreuse par Bayou. D'autant qu'elle a été fixée par le même magistrat qui a autrefois renvoyé Jérôme Kerviel en correctionnelle en exonérant son employeur…

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Qu'à cela ne tienne : l'écolo, qui dit ne pas disposer d'une telle somme, a fait appel au peuple, surfant sur la mode du financement participatif. Lancé vendredi, il lui aura permis de récolter 9 320 euros en quelques jours. Avec promesse de remboursement si la plainte devait aboutir un jour à la restitution de ces foutus deux milliards d'euros. «Il est quand même surprenant de devoir en passer par là», s'insurge l'agitateur écolo, qui se dit toutefois très «touché» par les quelques fonds récoltés à l'arrache pour les besoins de la cause : «Ce sont des prêts, qui témoignent d'une incroyable confiance.» En la justice française, à défaut de la politique…

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